Editions QUATRE-VENTS / AVANT-SCENE 1991
CREATION FRANCE CULTURE 1990
Comédie à sept personnages décrivant la vie provinciale d'une famille française des plus respectables: le père, la mère, deux grands fils de 20 et 17 ans. Maison confortable, tennis. La réussite en quelque sorte. Mais on découvrira par l'arrivée inopinée d'artistes parisiens, ex-amis de Madame, que cette réussite est construite sur des désirs rejetés, enfouis, refoulés. Tout ce petit monde s'excite justement autour des problèmes artistiques et amoureux passées et à venir…On verra même la figure sympathique et tout à fait pittoresque d'un attaché culturel.
Peut-être que cette pièce au titre tellement conventionnel est finalement une comédie qui parle aujourd'hui de ces gens qui ont maintenant 40/45 ans… Ils avaient donc 20 en 1968 ou à peu près. Ils ont aimé les Beatles, connu de près ou de loin la fumette ou autres drogues plus ou moins dangereuses, ont rêvé ou ont fait le voyage américain ou oriental, se sont adonnés au yoga, ont lu Mao, ont pratiqué l'union libre, les partenaires multiples, les enfants sans père, le mélange de races, la bisexualité, ont refusé l'apogée du capitalisme, avaient un sens de la fête, une certaine approche de l'amitié, du travail, de la paresse, de la famille, ont beaucoup ri, se sont beaucoup trompés…
Enfin voilà, ce sont ceux-là, vingt ans après, face à des jeunes-gens d'aujourd'hui ciblés, précis, directs…
Sans doute chaque nouvelle génération rejette la précédente ! Mais ici, pas de rejet… Non, c'est l'impasse… L'oubli tout simple sans rejet, sans colère, sans violence comme si les années 68-80 avaient été un rêve dans un brouillard, une sorte de grande parenthèse sur la route inéluctable de la technologie avancée et son cortège de valeurs morales et économiques. Le chemin de la réussite aujourd'hui passerait, comme obligé, par l'amnésie des utopies.
Louise Doutreligne
Création Centre Dramatique Limousin 1991
GEROME
Alors dix ans que tu es ici ?
FRANCE
Ici quatre ans seulement.
GEROME
Oui mais la Province ?
FRANCE (elle rit)
Douze !... Ici ça se termine, tu vois le jardin, ce n'est pas encore...
GEROME
Tu comptes la garder longtemps ?
FRANCE
C'est elle qui est venue. Elle est arrivée, elle a dit : "C'est le meilleur endroit pour attendre."
GEROME
Ah ! Ah ! La troisième guerre sans doute ! Le gros nuage définitif ! ... Attendre !... et entendre (temps il écoute, regarde le ciel), c'est fou ce bruit des oiseaux... C'est tous les jours comme cela ?
FRANCE
Oui (elle rit) tous les soirs ils tournent avant de se coucher. (temps.) Elle est arrivée un matin, très tôt... j'étais dans le bureau, juste à côté là (elle montre vers l'intérieur de la maison) ... j'ouvre la porte, elle était là, devant moi, comme ça, sans bagages, sans rien...
GEROME
(il rit) Elle n'a pas changé !
FRANCE
Un peu épaissi non ?
GEROME
Et oui le corps bien sûr !... Ah le corps !! (brutalement et tout sourires) Qu'est-ce que tu en penses ? (il regarde intensément France).
FRANCE (gênée)
Mais je ne sais pas... je... En fait voilà... Elle était entrée par derrière, c'est idiot, c'est tout simple... justement par la porte-fenêtre là... et elle avait déposé son son bagage dans le salon, avec un petit mot parce qu'elle a cru qu'il n'y avait personne... donc finalement tu vois rien que du normal... disons oui... non c'est moi qui... venant du bureau, surprise, ai imaginé qu'elle débarquait, comme cela, sans bagage, sans rien ...
GEROME
Mais tu travailles ici, dans cette maison ?
FRANCE
Je classe des fiches. Non rien. (elle rit). Des fiches-clientèles pour mon mari... non, rien du tout.
GEROME
Ah Jean ! (temps) Il t'a bien... (il se reprend) Il va bien ?
Comédie bourgeoise dans laquelle s'introduit la subversion poétique. Une drôle d'histoire qui reflète les hésitations et les déséquilibres d'une génération. La douceur du rire.
Le Monde
Même lorsqu'elle aborde les sujets les plus quotidiens, Louise Doutreligne ne peut s'empêcher de creuser, d'aller au fond des choses, avec "Les Jardine de France" nous sommes en apparence bien loin de Teresada', quoique si l'angoisse mystique a laissé la place à l'angoisse existentielle, il reste l'angoisse… C'est une oeuvre belle et forte, tragique et drôle.
Jacques Parneix - Le Populaire
Louise Doutreligne, après l'adaptation hyperclasssique de "Conversations sur l'infinité des Passions" fait un saut dans l'hypercontemporain. Tot y est, du tennis démocratisé au caméscope qui sert de journal intime. On frôle la caricature pourtant le texte sonne juste, on se rend compte que c'est écrit au scalpel, ciselé, poli. Ecrit quoi…
Joël Janouteau - La Montagne
Ici l'écriture de Doutreligne est quelque peu différente d'autres de ses pièces : plus simple, plus accessible mais aussi plus mystérieuse.Dans un décor contemporain et une disposition bi-frontale les relations personnelles complexes ont tendance à prendre de plus en plus d'ampleur.
Jacques Morlaud - L'Echo du Centre