Editions ACTES-SUD PAPIERS
En cinq tableaux, joués dans deux pièces de la maison, un couple vaque à ses affaires domestiques. Il parle : d'un rendez-vous en ville, des courses, des repas, du bricolage, autant de sujets-prétextes permettant aux protagonistes de se livrer une guerre des mots dont le but est moins la destruction de la place ennemie que sa conquête.
"Ils cherchent à se joindre"… "non à se disjoindre" . Mais leurs armes tactiques diffèrent. Elle procède par enveloppement, dérobade, attaque violente et repli précipité, conjuguant la provocation et l'usure dans une hystérie de demande toujours réitérée. Lui se cantonne, perplexe, dans le repli attentiste, trop incertain des conséquences pour tenter une ouverture, sinon à contre-temps, une impulsion qu'elle lui reprochera avant d'accepter l'armistice, toute rage provisoirement pacifiée.
Bientôt le spectateur oublie qu'il est un personnage superflu dans un coin de chambre ou de cuisine. La distance du théâtre se rétablit, on s'intéresse à l'écart entre le discours des corps, des visages et celui des mots, et, plus vertigineux encore, l'écart entre ce qui est dit et ne l'est pas. Car au fur et à mesure le langage se fait de plus en plus trompeur. La banalité devient aventure, la tragi-comédie du commerce amoureux défigure le quotidien.
Bernadette Bost - Le Monde
Fin de repas. L'homme et la femme mangentdu raisin face à face en silence. Tout-à-coup, l'homme s'arrête, grimace et fouille dans la bouche avec son doigt.
La femme
( Après un temps long d'observation) : Tu veux mon doigt ?
L'homme :
-erci -a -va
La femme :
Je me demande pourquoi tu t'obstines à manger de ce côté. Tu peux pas mâcher à gauche ?... Surtout le raisin.
L'homme :
A gauche à gauche c'est vite dit. A gauche y a plus rien non plus.
La femme :
Bon dieu pour les raisinson a quand même pas besoin de ses dents ! C'est incroyable ! Moi je me les colle sur le palais et crac un coup de langue et c'est fini, ça gicle... Mais qu'est-ce que viennent faire les dents là dedans je me le demande. Quant à la peau et bien tu la craches si tu peux pas l'avaler... aucune importance... (Un temps. Ils mangent)
Le pire c'est que je le savais que tu te coincerais la dent... enfin le trou... depuis tout-à-l'heure je t'observe du coin de l'oeil et je le voyais bien... C'est comme les maladies ça, les jambes qui se coincent tout ça et que d'un côté! et la gauche bien sûr !... (Ils mangent)
Faut pas me la faire à moi. Ca va pas recommencer. Et l'hôpital et tout ça, parce que les allées et les venues chez les paralysés, non... Et les taxis, c'est qui qui paie les taxis,... non... en plus qu'on ne sait même pas pourquoi il est paralysé... ils ont regardé tout son cerveau au skanner et ils savent rien, non mais c'est à se fendre.
L'homme :
De qui parle-tu?
La femme :
... Des autres, de toi, c'est pareil... Comme ta figure d'enterrement le matin... Tu crois que je suis aveugle?
L'homme :
OU on est là?
La femme :
Peux pas sourire. Non? Peux pas avoir un minimum de dignité...? Un peignoir sans tache, c'est pas grand chose ça, un peignoir sans tache, mais ça paut arranger l'existence... ou je ne sais pas moi... une démarche alerte, un air vif qui va quelque part, ça peut donner de l'entrain... Comme dirait ma mère "T'as toujours l'air, si t'as pas la chanson"... oui oui oui... l'air d'une idiote, ça oui, ça qu'elle a oublié de dire ma mère, l'air d'une idiote.
L'homme :
Bon, tu t'arrêtes?
La femme :
C'est que ça me met dans des états, moi, ces histoires de levers pénibles... c'est vrai, vu qu'on est appelé à continuer... je me dis toujours faisons semblant de démarrer... le reste viendra par surcroît...
… Ai-je assez fait comprendre qu'on passe une délicieuse soirée ?
La Voix du Nord
… On se paye ainsi le "drôle d'effet" que cela fait, paraît-il, de voir son lit conjugal métamorphosé en accessoire de la dérision.
Le Monde
Les spectateurs invités par la maîtresse de maison - comme l'oeil d'une caméra - observent le jeu sans cesse renouvelé; et toujours le respect des règles du théâtre : le mensonge vrai, un texte précis, et une mise en scène minutieuse. délicatesse et qualité sont de rigueur.
La Marine