EDITIONS DE L'AMANDIER 2008 Les Séductions Espagnoles V
traduction/adaptation du texte de Federico Lorca
Dans l'Espagne pré-franquiste, une veuve tente d'enfermer ses cinq filles pour respecter dans les normes établies le deuil du père. Le jeune mâle du village rôde autour des murs, les servantes surveillent… mais comme l'étalon rétif brise les barrières de l'enclos, de même le désir qui brûle le corps de ces jeunes femmes va briser ce cercle de famille féminin…
«La relecture du texte espagnol laisse une très forte impression de composition musicale, symbolique et rythmique. Ce qui est caractéristique c’est cette atmosphère de mystère, et l’arrivée fracassante des situations poétiquement dramatiques engendrées par un nœud d’intrigues d’autant plus secret qu’il est simple et clair pour le spectateur. Le deuil par exemple devient le personnage principal et l’absence de l’homme un obsédant et nébuleux protagoniste. Ce deuil s’impose en effet avec ses règles, ses conventions religieuses et ses contraintes. Comment ne pas soupçonner les intentions de Lorca qui, entrevoyant la mort de la République pressent les temps obscurs qui suivront mais qu’il ne verra pas…(rendre hommage à nos grand-mères et mères andalouses qui ont traversé les Pyrénées sous les bombes de Franco évitant de justesse les balles qui tuèrent le merveilleux Frederico). L’auteur avertit qu’il s’agit pour lui d’un document photographique. Cette idée « d’immobilité d’image » de « cliché » permet de décoller l’anecdote d’origine et convertir cette tension entre LA LOI et LE DESIR en métaphore universelle.»
Jean-Luc Paliès
Création festival D'Avignon 1987
Théâtre de Meaux 1988
T.E.P. Paris 1989
Tournées
AMELIA
Tu te rends compte ? Antonieta n'est pas venue aux condoléances.
MARTIRIO
Je le savais. Son fiancé ne la laisse pas sortir, même pas sur le seuil de sa porte. Avant elle était gaie; maintenant ni poudre ni rien sur le visage.
AMELIA
On ne sait pas s'il vaut mieux en avoir ou pas, de fiancé.
MARTIRIO
C'est pareil. Moi je vois que tout n'est que terrible répétition. Antonieta est avec son fiancé comme sa mère était avec le sien et comme sa grand-mère...
AMELIA
De toute manière, c'est de la faute à tous ces commérages qui ne nous laissent pas vivre.
MARTIRIO
Il est préférable de ne jamais voir d'homme. Depuis toute petite ils me font peur. Je les voyais dans la cour atteler les boeufs et charger les sacs de blé au milieu des cris et des coups de pied, et toujours j'ai eu peur de grandir par crainte de me retrouver un jour brusquement enlacée par eux. Dieu m'a faite fragile et pas très belle et les a éloignés définitivement de moi.
AMELIA
Ne dis pas cela! Enrique Humanes en avait après toi et tu lui plaisais.
MARTIRIO
Racontars! Une fois je suis restée en chemise derrière la fenêtre jusqu'au petit jour parce qu'il m'avait fait dire par la fille de son valet qu'il allait venir, et il n'est pas venu. Tout ça c'est des ragots. Plus tard, il s'est marié avec une autre qui avait plus que moi.
AMELIA
Et laide comme sept démons!
MARTIRIO
Que leur importe à eux la laideur! Ce qu'ils veulent ce sont les terres, les attelages et une chienne soumise qui leur fasse à manger.
AMELIA
Aïe!
( ... )
PONCIA
Elle l'a fait sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, bien sûr c'est pas bien. Moi ça m'a paru bizarre de la voir s'échapper vers la cour! Après je l'ai vue derrière une fenêtre en train d'écouter la conversation des hommes qui, comme toujours, est horrible à entendre.
BERNARDA
C'est pour cela qu'ils viennent aux enterrements! (avec curiosité) De quoi ils parlaient ?
PONCIA
Ils parlaient de Paca La Roseta. Cette nuit ils ont attaché son mari à une mangeoire et elle, ils l'ont montée sur la croupe d'un cheval jusqu'en haut de l'oliveraie.
BERNARDA
Et elle, qu'est-ce qu'elle... ?
PONCIA
Elle tout à fait d'accord. Ils disent qu'elle allait la poitrine à l'air et que Maximiliano l'a saisie comme s'il jouait d'une guitare. Une horreur!
BERNARDA
Et qu'est-ce qui s'est passé ?
PONCIA
Ce qui devait se passer. Ils sont revenus au petit jour. Paca la Roseta les cheveux défaits et une couronne de fleurs sur la tête.
BERNARDA
C'est la seule femme dépravée que nous ayons au village.
PONCIA
Parce qu'elle n'est pas d'ici. Elle vient de loin. Et ceux qui sont allés avec elle aussi... des fils d'étrangers. Les hommes d'ici ne sont pas capables de ça.
BERNARDA
Non, mais ils aiment le voir et en parler, et ils s'en pourlèchent les doigts à la moindre occasion.
Méconnaissable sous le masque de vieillesse et la mantille noire, Louise Doutreligne est une marâtre phénoménale. Passionnée, elle est allée en Andalousie chercher les interjections d’un texte qu’elle a traduit et adapté. Louise Doutreligne et Jean-Luc (à la mise en scène) ont travaillé la musicalité des phrases et pour faire écho à ce huis clos exclusivement féminin, la voix de Camaron se meurt sur les notes d’un orchestre symphonique.
Valérie Simonet - LIBERATION
Compagnie sous Influence ibérique, Influence c’est une comédienne-auteur et un metteur en scène qui regardent ensemble dans la même direction. Présentée pour la première fois cette traduction était très attendue au Festival... Il fallait rendre la brutalité de la langue, trouver la correspondance en français. Tout un travail de fond pour arriver à ce miracle qu’est le duende.
Mitzi Gerber - LE DAUPHINE VAUCLUSE
Jean-Luc Paliès, qui met en scène et dirige superbement les actrices, utilise le décor d’un patio de mosaïques, des draps immaculés sèchent à cour, et à jardin le banc de pierre est décoré des mêmes azulejos que la fontaine. Des cruchons de terre y conservent l’eau fraîche. Un chapelet de piments sèche au soleil. Seule note de couleur pour situer cette maison blanche où les femmes sont en noir... Les chants liturgiques de la mort s’opposent aux chants flamenco des fêtes et sérénades, et sous le ciel étoilé d’Avignon la représentation prend une symbolique d’exception.
Danielle Dumas - L’AVANT-SCENE